Tout a commencé le 17 décembre 2010 : un drame, en effet, va être le détonateur d’une révolution qui va embraser tout le pays. Mohamed Bouazizi, un chômeur de Sidi Bouzid, au centre de la Tunisie, exaspéré par la confiscation de son étalage de marchand de fruits par une représentante de la municipalité, s’immole par le feu devant le siège du gouvernorat.
S’en suivirent des manifestations réprimées, ce qui entrainera des réactions en chaîne dans tout le pays, du nord au sud, provoquant selon l’O.N.U. 219 morts, 510 blessés et des dégâts matériels énormes.
Le 14 janvier : Après quelques vaines tentatives de redresser la situation, en renvoyant le gouvernement, en faisant des concessions et en déclarant ne pas se représenter en 2014, Ben Ali quitte le pays, laissant le pouvoir vacant. Le conseil constitutionnel en prend acte en confère le 15 janvier la présidence par interim à Foued Mebazaa, président de la chambre des députés, chargé d’organiser des élections.
Le 23 octobre 2011 : élection d’une nouvelle assemblée nationale constituante, chargée de rédiger une nouvelle constitution.
Un gouvernement intérimaire dirigé par Béji Caïd Essebsi, ancien ministre de Bourguiba, confie à une instance indépendante l’organisation des élections. Pour la première fois dansl’histoire du pays, aucun parti n’obtient la majorité absolue. Le parti Ennahdha, de tendance islamiste réalise le meilleur score et obtient 89 sièges sur 217. Il forme des alliances pour gouverner.
Le parti Ettakatol (tendance sociale-démocrate) et le C.P.R. (congrès pour la république) deviennent les alliés d’Ennahdha qui se réserve tous les portefeuilles ministériels régaliens.
Commence alors, dès le 28 novembre 2011, la volonté du pouvoir d’instaurer le Wahhabisme (tendance salafiste), par l’occupation de la faculté La Manouba. Elle ne se terminera que le 7 mars 2012.
Le doyen de la faculté dont j’aurai l’honneur d’assurer la défense, est laissé seul face aux salafistes.
Ni le ministère de l’intérieur, ni le ministère de la justice et ni le ministère des affaires religieuses, aux mains des islamistes, ne firent cesser cette occupation laissant le doyen et ses professeurs solidaires avec lui de résister à ces troupes issues de la milice privée du parti islamiste, la Ligue de protection de la révolution.
Ce n’est que le 7 mars que cessa l’occupation lorsqu’un salafiste entendit remplacer le drapeau tunisien sur le toit de la faculté par le drapeau tristement célèbre de l’islamisme radical, vulgarisé par le djihadisme islamiste.
Ce succédèrent ainsi de multiples évènements pour inoculer à la Tunisie le poison wahhabite :
Ce n’est que plus de 6 heures après le saccage que la garde républicaine du président de la République intervint sous l’insistance de Washington alors que le mal était fait.
Les forces de l’ordre aux mains d’un islamiste restèrent passives.
Après cet incident majeur, l’UGTT envisagea une grève générale à laquelle elle renonça sous la promesse formelle de la création d’une commission d’enquête qui fut torpillée par le ministre de l’intérieur lui- même qui refusa de communiquer les documents en sa possession et les vidéos prises.
La commission parlementaire sur les évènements du 9 avril (fête de la république) avec répression par la police du ministère de l’intérieur et de la Ligue de protection de la révolution, fût également torpillée par le président de l’assemblée constituante, le social-démocrate, président d’honneur de l’international socialiste, le docteur Mustafa Ben Jaàfar.
La justice était instrumentalisée par l’islamiste Bhiri dont la jurisprudence était de poursuivre les innocents et d’acquitter les coupables.
La tension montait dans le pays notamment à propos du statut de la femme et des manœuvres d’indemnisations permanentes de la Ligue de protection de la révolution qui s’était « illustrée » le 18 octobre 2012 en lynchant un père de famille nombreuse à Tatouile sous l’œil attentif des caméras.
Le médecin légiste désigné pour examiner le corps du malheureux conclu, malgré les œdèmes, les côtes cassées, les multiples fractures, à une crise cardiaque… Parallèlement, le ministère des affaires religieuses avait transformé les mosquées en arsenaux et en tribunes appelant au Djihad y compris au Djihad de prostitution.
Au printemps 2013, un immense rassemblement de salafistes se tenait dans la cité balnéaire de Hammamet.
Des islamistes, traités de démocrates-chrétiens musulmans en Europe, s’employaient à investir tout l’appareil d’état et notamment au ministère de l’intérieur.
C’est ainsi qu’intervint l’assassinat de l‘homme politique Mohamed Brahmi, père de 5 enfants.
Ce fût alors comme Chokri Belaïd (1,4 millions de personnes dans les rues) une immense émotion.
La guerre civile risquait à tout moment d’embraser le pays.
Le président de l’assemblée constituante suspendit les travaux de son assemblée tandis qu’un sitting permanent était organisé devant celle-ci par les démocrates. Politiquement, c’était l’impasse puisque le pays n’avait toujours pas de constitution et donc aucune élection n’était prévue.
Intervinrent deux gigantesques manifestations auxquelles j’ai eu l’honneur de participer, le 6 août 2013 (pour commémorer les 6 mois de l’assassinat de Chokri Belaïd, entre Bab Sadoun jusqu’au Bardo. Le Monde parlait d’une centaine de milliers de manifestants alors que nous étions près de 500 000.
Le 13 août fût organisée une nouvelle manifestation pour commémorer le code du statut de la femme octroyé par Bourguiba le 13 août 1956.
Nous étions encore 300 000.
C’est ainsi que les forces non-politisées du pays se réunirent dans ce qu’on a appelé un
« Quartet » : la Ligue tunisienne des droits de l’Homme l’Utica (patronat) l’UGTT (syndicat) et le bâtonnier de l’ordre des avocats. Finalement la constitution fût rédigée et approuvée non sans concessions dommageables tandis que le « Quartet » se voyait attribuer le prix Nobel de la paix. Des élections libres intervinrent fin 2014.
Au niveau parlementaire, Nahdha fût rétrogradée à la 2e place tandis que le parti du président de la république qui allait être élu, Nidaa Tounes devint le 1er parti. À la fin de l’année 2014, Béji Caïd Essebsi est élu Président de la République.
La liberté de conscience fût reconnue, le principe de l’égalité homme-femme inscrit dans le marbre posait le problème de l’égalité successorale et celui pour la femme tunisienne d’épouser un non-musulman.
Le 13 août 2017, le Président de la République annonçait une commission pour légiférer sur l’égalité successorale qui est contraire à la lettre du Coran alors que la Tunisie est un état civil et la circulaire en joignant au maire, de ne célébrer un mariage que si elle épouse un musulman fût annulé.
A l’heure actuelle, le pays connait une turbulence politique au grès des ambitions des uns et des autres où le sens des valeurs et l’idéologie n’ont apparemment que peu d’importance.
C’est ainsi que Nidaa Tounes a implosé et que la Enahdha est redevenu premier parti.
Il y eut de nombreux attentats, que ce soit au mont Chaambi, au Bardo ou à Kantaoui et dernièrement l’égorgement d’un officier devant l’assemblée des Représentants du peuple. Il est avéré que certains membres du ministère de l’intérieur étaient informés et se sont abstenus d’empêcher l’assassinat d’un père de 4 enfants et dont la femme est enceinte du cinquième.
Un de mes amis journalistes a révélé le 10 novembre 2017 cette information capitale sans que le ministère de l’Intérieur ne réagisse…
Ainsi, l’épuration nécessaire à l’indépendance et à l’impartialité de la justice et à l’efficacité du ministère de l’intérieur est loin d’être finie. Alors que l’administration a été alourdie par tous les affidés de la Remada dès le 14 janvier 2011 :
La Tunisie emprunte en ce moment pour payer ses fonctionnaires, dont il est établi qu’ils sont très peu performants car le parti islamiste y a casé des dizaines de milliers d’incompétents.
Sur le plan sociétal, la révolution vestimentaire a commencé dès le 14 janvier 2011 et jamais Allah ne fut pris autant à témoin qu’à l’heure actuelle.
L’encrier du Waahabisme s’est donc renversé sur la Tunisie de Bourguiba.
Enahdha est chargée de cette mutation obscurantiste en étant outrageusement financée par le vilain petit Qatar.
Bourguiba fût toujours diabolisé par l’Ouuma (communauté musulmane) pour avoir abandonné la Chaària et avoir suggéré en 1965 une solution pour la crise palestinienne lors de son discours de Jérico.
Cet exposé un peu long mais pourtant trop succinct mérite des explications et un débat, ce que je suis disposé à faire.
Je vous écris ceci de Tunisie en vous confirmant que ce pays m’a conquis dès mon arrivée comme touriste en 2009 et vers lequel je suis retourné immédiatement après le 14 janvier 2011 pour m’engager aux côtés d’une société civile exemplaire qui veut que son pays continue à être arrimé à l’éducation, à la transmission du savoir, en un mot, à la culture.
C’est pour cela que nous devons aider cette jeune démocratie en luttant contre les méfaits hégémoniques de la Confrérie des frères musulmans beaucoup trop appréciée sur la rive nord de la méditerranée.
Nombreux sont les Tunisiens, ce qu’on ne vous dit pas, qui ne comprennent pas la complaisance avec laquelle sont honorés en Europe les adeptes du Waahabisme, qu’ils soient membres de la Confrérie de frères musulmans comme le recteur de la mosquée de Lille ou l’imam de Bordeaux ou plus généralement l’union de organisation musulmane de France, actuellement « les musulmans » et la complaisance avec des relents d’asservissement politique comme c’est souvent le cas dans notre pays.
Philippe LAURENT, avocat honoraire.
Conseiller communal honoraire de Charleroi
Ancien Député et co-rapporteur de la première Commission d’enquête parlementaire sur le terrorisme et le grand banditisme (législature de 1988 à 1991).
(Les opinions exprimées dans cette rubrique n’engagent pas la responsabilité du MCC)